Les bouteilles composites
L’accident récent du 20 septembre 2002 qui a provoqué le décès
d’un sapeur-pompier vient de relancer le débat sur l’usage des
bouteilles composites pour les appareils respiratoires isolants.
Analyse des performances, des risques et des précautions à
prendre.
Texte > colonel Henri Benedittini,
animateur de la Commission technique > spmag946 mai 2003
Cet accident vient allonger
la liste des problèmes rencontrés avec l’utilisation de plus en plus
généralisée des matériaux composites dans la fabrication des
réservoirs de gaz comprimé. Ainsi, déjà, plusieurs cas de rupture
d’enveloppe ont été recensés par les publications spécialisées :
• en 1996 : rupture d’un réservoir aux
USA.
Cette bouteille, réalisée en fibres de verre R sur liner
aluminium, éclate dans le coffre d’un fourgon, provoquant de très
gros dégâts. Un produit de nettoyage acide, utilisé pour entretenir
les chromes, sera mis en cause.
• en 1996 : rupture d’une bouteille d’ARI
au
poste de sécurité incendie du tunnel sous la Manche (réalisée en
fibres de verre R sur liner aluminium) après utilisation dans le feu
du tunnel, peu de temps auparavant. L’expertise, confiée à l’Ecole
des mines de Douai, a diagnostiqué un vieillissement prématuré de la
structure composite dû en première hypothèse à une pollution
chimique au cours de l’intervention précitée.
• en 2002 : rupture du fond de
la bouteille
(réalisé en fibres de carbone sur liner
thermoplastique) d’un d’ARI à Genève au cours d’une manipulation. Le
réservoir a ensuite été projeté au plafond, provoquant la rupture du
robinet. Par ailleurs, plusieurs incidents seront constatés,
essentiellement sur des défauts d’étanchéité des réservoirs (micro
fuites du liner polyéthylène). Aujourd’hui, alors que le concept des
bouteilles composites dont le ratio poids / volume d’air contenu
permet aux sapeurs-pompiers une autonomie et une ergonomie jamais
égalées, il devient nécessaire de se préoccuper des contraintes
liées à l’utilisation, la mise en œuvre et la vérification de ces
réservoirs un peu particuliers. La conception des réservoirs
composites s’appuie sur une technologie issue du domaine
aéronautique et spatial où le rapport poids / capacité est
primordial. Il faut également souligner que l’usage aéronautique est
aussi un gage de qualité des produits, puisque les règles de
construction imposent des contraintes et des procédures sérieuses :
coefficients de sécurité, suivi de la qualité (ISO 9000) du
fabricant et de ses fournisseurs et surtout traçabilité des
fabrications.
Malheureusement, chaque utilisation génère ses
propres contraintes et celles de l’aéronautique ne correspondent pas
strictement à celles des sapeurs-pompiers, car les réservoirs sont
confrontés à plusieurs sollicitations particulières :
• les
réservoirs sont mobiles, transportés (susceptibles donc d’être
exposés à des chocs, contraintes liées à un environnement hostile),
• les réservoirs peuvent être exposés à des agressions
chimiques, à des températures élevées,
• le réservoir est un des
constituants de l’ensemble ARI. De ce fait, il passe par plusieurs
intermédiaires : le fabricant d’ARI, et éventuellement le revendeur.
Or, la norme EN 12245 (ISO 11119-1) qui définit les caractéristiques
minimales et les essais d’homologation à réussir pour les réservoirs
sous pression, ne prend pas nécessairement en compte l’ensemble des
usages spécifiques de ces bouteilles composites dans leur
application sur ARI, où la bouteille n’est qu’un élément d’un
ensemble au regard de la réglementation européenne EPI 89 sur les
appareils de protection respiratoire. Ces bouteilles sont
constituées d’une enveloppe intérieure, appelée liner, faite en
aluminium, en polyéthylène ou en polyamide, qui assure la fonction
d’étanchéité. La résistance mécanique est obtenue par un enroulement
filamentaire (verre-R, carbone, Kevlar) qui forme, autour du liner,
une « coque » lui conférant ses propriétés mécaniques. Les fibres
sont solidarisées grâce à l’utilisation d’une résine qui viendra
fixer les fibres les unes aux autres. Pour information, et en
comparaison avec l’acier (densité = 7.8, résistance = 800 Mpa) ou
l’aluminium (densité = 2.7, résistance = 340 Mpa), le composite à
base de fibres de carbone a une densité de 1.5 et une résistance de
2000 Mpa, soit 200 kg / mm2. Enfin, côté fond ouvert, un insert
métallique en aluminium, appelé embase, permet de fixer le robinet
de conservation dont le pas de vis est cylindrique (M18 x 1,50) et
l’étanchéité au niveau du robinet est obtenue par l’utilisation d’un
joint torique. L’évolution des conceptions a permis de diviser par
deux le poids du récipient et d’en augmenter la pression de service
(300 bars), améliorant de façon exceptionnelle l’autonomie des ARI.
Actuellement, l’utilisation de la fibre de carbone associée à un
liner thermoplastique permet d’atteindre un poids de 4,5 kg (3,7 kg
sans robinet) pour un réservoir de 6,8 l à 300 bars (soit 2 m3 d’air
détendu), alors qu’il y a vingt ans le poids était de 7 kg pour 200
bars (soit 1,4 m3 d’air détendu). Ce gain rend difficile le retour
vers des enveloppes métalliques qui génèrent, pour le porteur, des
contraintes importantes, aussi bien sur la durée de l’intervention
(éventuellement la sécurité accrue par une plus grande autonomie),
que sur la mobilité en raison de l’allongement du temps
d’utilisation du dispositif respiratoire.
L’accident de Toulon
Néanmoins, les accidents
récents doivent-ils modifier notre recours à cette évolution ?
L’analyse de l’accident du 20 septembre à Toulon, dont l’enquête
judiciaire est toujours en cours, reste encore incomplète, mais
certaines constatations effectuées permettent aujourd’hui
d’expliquer en partie les raisons de la rupture de l’enveloppe.
Ainsi, il a été constaté la combustion partielle du liner polyamide
à l’intérieur de l’enveloppe dont la combustion paraît être plus
importante vers le fond de la bouteille. Comment expliquer cette
combustion ? En premier lieu, il faut rappeler que l’ARI en cause
est un Draeger PA 94, équipé de deux bouteilles composites 6 l 8,
avec robinetteries à ouverture rapide, séparées et reliées par un
tube en T. Les équipements sont neufs, puisque le véhicule a été mis
en service depuis quelques semaines. Les bouteilles ont été
construites le 20 mars 2002 et livrées à la société Draeger qui a
monté les robinets et rempli les bouteilles à 300 bars en avril 2002
(les bouteilles n’ont pas été utilisées et re-remplies depuis). Lors
de la manœuvre, les deux bouteilles sont fermées, une est pleine,
l’autre vide (le véhicule ayant été exposé au Congrès,
l’équipementier avait vidé une bouteille, accessible par le public,
pour éviter tout risque et le déclenchement de l’homme mort). Le
porteur ouvre la première bouteille qui est remplie à 300 bars. La
procédure prévoit d’ouvrir alors la 2e bouteille qui est vide. Il y
a alors transvasement instantané de l’air de la 1re bouteille dans
la 2e. La pression s’équilibrant très rapidement entre les deux
bouteilles, le bodyguard (appareil mémorisant les pressions)
indiquera 136 bars pendant une durée de 1’ à 1’20 (les mesures sont
mémorisées toutes les 20’’). Soudain, l’enveloppe de la 2e bouteille
se rompt côté fond fermé, en présentant une fumée blanche, la
rupture provoquant le décès du porteur. A l’origine, le robinet de
conservation, arraché par l’explosion, a été mis en cause, car
plusieurs accidents dans le passé ont été liés à la rupture de
robinets ou au mauvais montage de ceux-ci. L’étude portant sur la
résistance des robinets cylindriques en laiton constituant la très
grande majorité du parc français montre en effet que le diamètre de
18 mm du robinet en alliage de laiton (CUZN40Pb2 suivant la norme NF
EN 12420) présente une résistance à la traction de 380 Mpa et une
limite d’élasticité à 0,2 % de 120 Mpa. Or, le serrage à un couple
de 11m.kg (110 N.m) ajouté à
l’effet exercé par le fluide à 300 bars à l’intérieur de la
bouteille, s’approche de la limite élastique du laiton. De plus, une
ambiguïté est apparue, car un couple de serrage limite est indiqué
sur la bouteille mais celui-ci ne concerne que la préservation de
l’embase métallique de la bouteille, pas la limite de résistance du
robinet. En conséquence, il semble dangereux de serrer à plus de 7
m.kg (70 N.m) les robinets, et
même à ce couple de serrage, le maillon le plus faible de l’ensemble
est le robinet. Dans le passé, une étude menée sur la rupture de
détendeurs avait montré que leur conception en laiton ne présentait
pas une résistance suffisante pour une application à 300 bars ; le
constructeur avait ensuite remplacé la pièce en cause par une
réalisation acier-inox. D’après les essais réalisés sur les
bouteilles Composites Aquitaine, les pressions de rupture sous
pression hydraulique sont supérieures à 1000 bars et résistent à
plus de 10 000 cycles à 450 bars. De plus, ces bouteilles ne voient
pas leur résistance modifiée après dix chutes de 1,2 m sur une dalle
béton, sur différents angles (ces chutes sont faites sur la même
bouteille, celle-ci étant lestée de sa demi-capacité en eau). Ainsi,
la résistance mécanique des enveloppes composites présente une aussi
bonne marge de sécurité que les bouteilles métalliques. Néanmoins,
les fibres constituant le bobinage requièrent une attention
particulière pour garantir leur résistance maximale. Ainsi, la fibre
de carbone, très performante en traction, s’avère relativement
fragile aux chocs, ce qui explique la protection de la structure
carbone par le bobinage d’une couche de verre extérieure ainsi que
des protections en caoutchouc mises en place sur les extrémités des
bouteilles. Ces éléments ne sont donc pas de simples accessoires,
mais un dispositif participant à la résistance de la bouteille en
cas de choc. La rupture ne provenant pas d’une insuffisance de tenue
mécanique, une autre hypothèse serait à rechercher dans la
combustion interne du liner, constatée sur la bouteille en cause,
l’origine possible de l’accident. Celui-ci serait donc lié à une
inflammation spontanée – ou initiée par un arc d’électricité
statique à l’intérieur de la bouteille – du liner porté en
température par la compression très rapide de l’air en raison de
l’équilibrage avec la seconde bouteille à 300 bars.
Des études en cours
Les études de température
d’auto-inflammation sous pression d’oxygène, des liners
thermoplastiques sont de 180 °C, pour les liners polyéthylène
(utilisé par la Sté Mannesmann MCS), et de 210 °C pour les liners
polyamide (utilisés par la Sté Composites Aquitaine). Les
températures ont été déterminées par essais, avec des pressions de
1,2 et 6 Mpa* d’oxygène, et ne semblent pas varier notablement entre
ces limites (6 Mpa d’O2 correspondent à une pression partielle à 30
Mpa d’air). Ces résultats indiquent que ce type de liner ne peut
être utilisé avec des mélanges hyperoxiques car le polyéthylène se
comporte comme « une graisse minérale ordinaire » et, pour le
polyamide, « une valeur très moyenne, qui implique des limitations
et des précautions d’emploi en présence d’oxygène haute pression ».
En conséquence, le remplissage quasi instantané du réservoir, par
équilibrage, a pu provoquer une élévation de température suffisante
pour porter à la limite d’auto-inflammation le liner qui a ensuite,
par sa combustion, amené la ruine de la bouteille. Il faut néanmoins
noter que le phénomène n’a pas pu être reproduit pour l’instant,
mais les études se poursuivent aussi bien à l’école des mines de
Douai que chez le constructeur pour tenter de préciser les
conditions de cette explosion. Ainsi, la vitesse de remplissage
semble un paramètre capital, compte tenu de la nature du liner dont
les caractéristiques d’auto-inflammation sont relativement basses et
de la création d’électricité statique lors de transferts très
rapides. La résistance mécanique limitée des robinets exige des
précautions d’usage avec cette pièce qui constitue le maillon faible
de l’ensemble haute pression. De plus, ce type de robinet, à pas
cylindrique, ne doit pas être serré exagérément (7 m.kg étant le couple maximum).
On n’améliore pas l’étanchéité en serrant trop fort, on ne fait
qu’accroître la précontrainte du pied du robinet. En revanche, la
limitation à 200 bars de la pression de service des bouteilles
composites, qui a été prise dès le lendemain de l’incident, par
mesure de précaution, n’est plus maintenant justifiée. Enfin, les
susceptibilités vis-à-vis des agressions chimiques, voire
thermiques, de la bouteille composite, nécessitent également des
précautions sur l’exposition des réservoirs lors des interventions :
le port à l’intérieur, des scaphandres chimiques est préférable,
comme d’ailleurs le carénage des bouteilles, pour leur protection
mécanique. En conclusion, il convient de souligner que les
réservoirs composites présentent des qualités exceptionnelles pour
l’utilisation sapeurs-pompiers : légèreté, pression de service
élevée, néanmoins ils exigent des précautions d’emploi particulières
en raison de leur constitution.
Avis de la CTF
Utilisation des bouteilles composites d’ARI
1. Manipuler avec précaution les bouteilles (éviter les
chocs, entailles, chutes) et ne pas exposer à des produits corrosifs
ou solvants, au rayonnement thermique,
2. Proscrire
l’utilisation des bi- bouteilles avec robinets de conservation
séparés. Si cette configuration doit être retenue, équiper le
robinet d’un limiteur de débit.
3. Proscrire l’utilisation
des robinets à ouverture rapide sur les flexibles de remplissage et
les robinets de conservation des bouteilles sans limiteur de débit.
4. Placer des limiteurs de débit sur les flexibles de
remplissage lorsque le compresseur est équipé de réservoirs tampons.
La vitesse de montée en pression, tous les robinets ouverts, ne doit
pas être supérieure à 50 bars minute (4’ pour remplir un réservoir à
200 bars, 6’ pour un réservoir à 300 bars).
5. Placer un
dispositif de protection du robinet, fixé sur la collerette de la
bouteille.
6. Ne pas retirer les protections en caoutchouc
des fonds de bouteilles.
7. Ne pas serrer les robinets (18
x 1,5 cylindrique) à plus de 7 m.kg (70 N.m).