Valider
Retour à l'accueilAccueil / Le Sapeur-Pompier / Archives / 946 / Les bouteilles composites
28 Février 2007 | S'authentifier
 

Ils metent le feu à la BD
Les bouteilles composites

L’accident récent du 20 septembre 2002 qui a provoqué le décès d’un sapeur-pompier vient de relancer le débat sur l’usage des bouteilles composites pour les appareils respiratoires isolants. Analyse des performances, des risques et des précautions à prendre.

Texte > colonel Henri Benedittini, animateur de la Commission technique > spmag946 mai 2003

Cet accident vient allonger la liste des problèmes rencontrés avec l’utilisation de plus en plus généralisée des matériaux composites dans la fabrication des réservoirs de gaz comprimé. Ainsi, déjà, plusieurs cas de rupture d’enveloppe ont été recensés par les publications spécialisées :

• en 1996 : rupture d’un réservoir aux USA.
Cette bouteille, réalisée en fibres de verre R sur liner aluminium, éclate dans le coffre d’un fourgon, provoquant de très gros dégâts. Un produit de nettoyage acide, utilisé pour entretenir les chromes, sera mis en cause.

• en 1996 : rupture d’une bouteille d’ARI
au poste de sécurité incendie du tunnel sous la Manche (réalisée en fibres de verre R sur liner aluminium) après utilisation dans le feu du tunnel, peu de temps auparavant. L’expertise, confiée à l’Ecole des mines de Douai, a diagnostiqué un vieillissement prématuré de la structure composite dû en première hypothèse à une pollution chimique au cours de l’intervention précitée.

• en 2002 : rupture du fond de la bouteille
(réalisé en fibres de carbone sur liner thermoplastique) d’un d’ARI à Genève au cours d’une manipulation. Le réservoir a ensuite été projeté au plafond, provoquant la rupture du robinet. Par ailleurs, plusieurs incidents seront constatés, essentiellement sur des défauts d’étanchéité des réservoirs (micro fuites du liner polyéthylène). Aujourd’hui, alors que le concept des bouteilles composites dont le ratio poids / volume d’air contenu permet aux sapeurs-pompiers une autonomie et une ergonomie jamais égalées, il devient nécessaire de se préoccuper des contraintes liées à l’utilisation, la mise en œuvre et la vérification de ces réservoirs un peu particuliers. La conception des réservoirs composites s’appuie sur une technologie issue du domaine aéronautique et spatial où le rapport poids / capacité est primordial. Il faut également souligner que l’usage aéronautique est aussi un gage de qualité des produits, puisque les règles de construction imposent des contraintes et des procédures sérieuses : coefficients de sécurité, suivi de la qualité (ISO 9000) du fabricant et de ses fournisseurs et surtout traçabilité des fabrications.

Malheureusement, chaque utilisation génère ses propres contraintes et celles de l’aéronautique ne correspondent pas strictement à celles des sapeurs-pompiers, car les réservoirs sont confrontés à plusieurs sollicitations particulières :
• les réservoirs sont mobiles, transportés (susceptibles donc d’être exposés à des chocs, contraintes liées à un environnement hostile),
• les réservoirs peuvent être exposés à des agressions chimiques, à des températures élevées,
• le réservoir est un des constituants de l’ensemble ARI. De ce fait, il passe par plusieurs intermédiaires : le fabricant d’ARI, et éventuellement le revendeur. Or, la norme EN 12245 (ISO 11119-1) qui définit les caractéristiques minimales et les essais d’homologation à réussir pour les réservoirs sous pression, ne prend pas nécessairement en compte l’ensemble des usages spécifiques de ces bouteilles composites dans leur application sur ARI, où la bouteille n’est qu’un élément d’un ensemble au regard de la réglementation européenne EPI 89 sur les appareils de protection respiratoire. Ces bouteilles sont constituées d’une enveloppe intérieure, appelée liner, faite en aluminium, en polyéthylène ou en polyamide, qui assure la fonction d’étanchéité. La résistance mécanique est obtenue par un enroulement filamentaire (verre-R, carbone, Kevlar) qui forme, autour du liner, une « coque » lui conférant ses propriétés mécaniques. Les fibres sont solidarisées grâce à l’utilisation d’une résine qui viendra fixer les fibres les unes aux autres. Pour information, et en comparaison avec l’acier (densité = 7.8, résistance = 800 Mpa) ou l’aluminium (densité = 2.7, résistance = 340 Mpa), le composite à base de fibres de carbone a une densité de 1.5 et une résistance de 2000 Mpa, soit 200 kg / mm2. Enfin, côté fond ouvert, un insert métallique en aluminium, appelé embase, permet de fixer le robinet de conservation dont le pas de vis est cylindrique (M18 x 1,50) et l’étanchéité au niveau du robinet est obtenue par l’utilisation d’un joint torique. L’évolution des conceptions a permis de diviser par deux le poids du récipient et d’en augmenter la pression de service (300 bars), améliorant de façon exceptionnelle l’autonomie des ARI. Actuellement, l’utilisation de la fibre de carbone associée à un liner thermoplastique permet d’atteindre un poids de 4,5 kg (3,7 kg sans robinet) pour un réservoir de 6,8 l à 300 bars (soit 2 m3 d’air détendu), alors qu’il y a vingt ans le poids était de 7 kg pour 200 bars (soit 1,4 m3 d’air détendu). Ce gain rend difficile le retour vers des enveloppes métalliques qui génèrent, pour le porteur, des contraintes importantes, aussi bien sur la durée de l’intervention (éventuellement la sécurité accrue par une plus grande autonomie), que sur la mobilité en raison de l’allongement du temps d’utilisation du dispositif respiratoire.

L’accident de Toulon

Néanmoins, les accidents récents doivent-ils modifier notre recours à cette évolution ? L’analyse de l’accident du 20 septembre à Toulon, dont l’enquête judiciaire est toujours en cours, reste encore incomplète, mais certaines constatations effectuées permettent aujourd’hui d’expliquer en partie les raisons de la rupture de l’enveloppe. Ainsi, il a été constaté la combustion partielle du liner polyamide à l’intérieur de l’enveloppe dont la combustion paraît être plus importante vers le fond de la bouteille. Comment expliquer cette combustion ? En premier lieu, il faut rappeler que l’ARI en cause est un Draeger PA 94, équipé de deux bouteilles composites 6 l 8, avec robinetteries à ouverture rapide, séparées et reliées par un tube en T. Les équipements sont neufs, puisque le véhicule a été mis en service depuis quelques semaines. Les bouteilles ont été construites le 20 mars 2002 et livrées à la société Draeger qui a monté les robinets et rempli les bouteilles à 300 bars en avril 2002 (les bouteilles n’ont pas été utilisées et re-remplies depuis). Lors de la manœuvre, les deux bouteilles sont fermées, une est pleine, l’autre vide (le véhicule ayant été exposé au Congrès, l’équipementier avait vidé une bouteille, accessible par le public, pour éviter tout risque et le déclenchement de l’homme mort). Le porteur ouvre la première bouteille qui est remplie à 300 bars. La procédure prévoit d’ouvrir alors la 2e bouteille qui est vide. Il y a alors transvasement instantané de l’air de la 1re bouteille dans la 2e. La pression s’équilibrant très rapidement entre les deux bouteilles, le bodyguard (appareil mémorisant les pressions) indiquera 136 bars pendant une durée de 1’ à 1’20 (les mesures sont mémorisées toutes les 20’’). Soudain, l’enveloppe de la 2e bouteille se rompt côté fond fermé, en présentant une fumée blanche, la rupture provoquant le décès du porteur. A l’origine, le robinet de conservation, arraché par l’explosion, a été mis en cause, car plusieurs accidents dans le passé ont été liés à la rupture de robinets ou au mauvais montage de ceux-ci. L’étude portant sur la résistance des robinets cylindriques en laiton constituant la très grande majorité du parc français montre en effet que le diamètre de 18 mm du robinet en alliage de laiton (CUZN40Pb2 suivant la norme NF EN 12420) présente une résistance à la traction de 380 Mpa et une limite d’élasticité à 0,2 % de 120 Mpa. Or, le serrage à un couple de 11m.kg (110 N.m) ajouté à l’effet exercé par le fluide à 300 bars à l’intérieur de la bouteille, s’approche de la limite élastique du laiton. De plus, une ambiguïté est apparue, car un couple de serrage limite est indiqué sur la bouteille mais celui-ci ne concerne que la préservation de l’embase métallique de la bouteille, pas la limite de résistance du robinet. En conséquence, il semble dangereux de serrer à plus de 7 m.kg (70 N.m) les robinets, et même à ce couple de serrage, le maillon le plus faible de l’ensemble est le robinet. Dans le passé, une étude menée sur la rupture de détendeurs avait montré que leur conception en laiton ne présentait pas une résistance suffisante pour une application à 300 bars ; le constructeur avait ensuite remplacé la pièce en cause par une réalisation acier-inox. D’après les essais réalisés sur les bouteilles Composites Aquitaine, les pressions de rupture sous pression hydraulique sont supérieures à 1000 bars et résistent à plus de 10 000 cycles à 450 bars. De plus, ces bouteilles ne voient pas leur résistance modifiée après dix chutes de 1,2 m sur une dalle béton, sur différents angles (ces chutes sont faites sur la même bouteille, celle-ci étant lestée de sa demi-capacité en eau). Ainsi, la résistance mécanique des enveloppes composites présente une aussi bonne marge de sécurité que les bouteilles métalliques. Néanmoins, les fibres constituant le bobinage requièrent une attention particulière pour garantir leur résistance maximale. Ainsi, la fibre de carbone, très performante en traction, s’avère relativement fragile aux chocs, ce qui explique la protection de la structure carbone par le bobinage d’une couche de verre extérieure ainsi que des protections en caoutchouc mises en place sur les extrémités des bouteilles. Ces éléments ne sont donc pas de simples accessoires, mais un dispositif participant à la résistance de la bouteille en cas de choc. La rupture ne provenant pas d’une insuffisance de tenue mécanique, une autre hypothèse serait à rechercher dans la combustion interne du liner, constatée sur la bouteille en cause, l’origine possible de l’accident. Celui-ci serait donc lié à une inflammation spontanée – ou initiée par un arc d’électricité statique à l’intérieur de la bouteille – du liner porté en température par la compression très rapide de l’air en raison de l’équilibrage avec la seconde bouteille à 300 bars.

Des études en cours

Les études de température d’auto-inflammation sous pression d’oxygène, des liners thermoplastiques sont de 180 °C, pour les liners polyéthylène (utilisé par la Sté Mannesmann MCS), et de 210 °C pour les liners polyamide (utilisés par la Sté Composites Aquitaine). Les températures ont été déterminées par essais, avec des pressions de 1,2 et 6 Mpa* d’oxygène, et ne semblent pas varier notablement entre ces limites (6 Mpa d’O2 correspondent à une pression partielle à 30 Mpa d’air). Ces résultats indiquent que ce type de liner ne peut être utilisé avec des mélanges hyperoxiques car le polyéthylène se comporte comme « une graisse minérale ordinaire » et, pour le polyamide, « une valeur très moyenne, qui implique des limitations et des précautions d’emploi en présence d’oxygène haute pression ». En conséquence, le remplissage quasi instantané du réservoir, par équilibrage, a pu provoquer une élévation de température suffisante pour porter à la limite d’auto-inflammation le liner qui a ensuite, par sa combustion, amené la ruine de la bouteille. Il faut néanmoins noter que le phénomène n’a pas pu être reproduit pour l’instant, mais les études se poursuivent aussi bien à l’école des mines de Douai que chez le constructeur pour tenter de préciser les conditions de cette explosion. Ainsi, la vitesse de remplissage semble un paramètre capital, compte tenu de la nature du liner dont les caractéristiques d’auto-inflammation sont relativement basses et de la création d’électricité statique lors de transferts très rapides. La résistance mécanique limitée des robinets exige des précautions d’usage avec cette pièce qui constitue le maillon faible de l’ensemble haute pression. De plus, ce type de robinet, à pas cylindrique, ne doit pas être serré exagérément (7 m.kg étant le couple maximum). On n’améliore pas l’étanchéité en serrant trop fort, on ne fait qu’accroître la précontrainte du pied du robinet. En revanche, la limitation à 200 bars de la pression de service des bouteilles composites, qui a été prise dès le lendemain de l’incident, par mesure de précaution, n’est plus maintenant justifiée. Enfin, les susceptibilités vis-à-vis des agressions chimiques, voire thermiques, de la bouteille composite, nécessitent également des précautions sur l’exposition des réservoirs lors des interventions : le port à l’intérieur, des scaphandres chimiques est préférable, comme d’ailleurs le carénage des bouteilles, pour leur protection mécanique. En conclusion, il convient de souligner que les réservoirs composites présentent des qualités exceptionnelles pour l’utilisation sapeurs-pompiers : légèreté, pression de service élevée, néanmoins ils exigent des précautions d’emploi particulières en raison de leur constitution.

Avis de la CTF

Utilisation des bouteilles composites d’ARI
1. Manipuler avec précaution les bouteilles (éviter les chocs, entailles, chutes) et ne pas exposer à des produits corrosifs ou solvants, au rayonnement thermique,
2. Proscrire l’utilisation des bi- bouteilles avec robinets de conservation séparés. Si cette configuration doit être retenue, équiper le robinet d’un limiteur de débit.
3. Proscrire l’utilisation des robinets à ouverture rapide sur les flexibles de remplissage et les robinets de conservation des bouteilles sans limiteur de débit.
4. Placer des limiteurs de débit sur les flexibles de remplissage lorsque le compresseur est équipé de réservoirs tampons. La vitesse de montée en pression, tous les robinets ouverts, ne doit pas être supérieure à 50 bars minute (4’ pour remplir un réservoir à 200 bars, 6’ pour un réservoir à 300 bars).
5. Placer un dispositif de protection du robinet, fixé sur la collerette de la bouteille.
6. Ne pas retirer les protections en caoutchouc des fonds de bouteilles.
7. Ne pas serrer les robinets (18 x 1,5 cylindrique) à plus de 7 m.kg (70 N.m).


 
 

n° 946 - janvier 1970

Edito
Sommaire
S'abonner
 
 
 

Copyright 2005 - FNSPF
Site officiel de la Fédération Nationale des Sapeurs Pompiers de France
En partenariat avec : Oeuvre des pupilles | Mutuelle Nationale des Sapeurs Pompiers | Caisse Nationale de secours | Le Sapeur Pompier Magazine | Les Editions Pompiers de France
La boutique des Sapeurs Pompiers